Hélicoptère. Le son des pales. Grésillement du casque. Le vent sur la vitre. La force du vent. Il ne neige pas et pourtant elle vient se poser sur nous, sur l’appareil. Qui sont ces gens que je dois rencontrer ? Vivent-il en dessous, là ? Dans ces dunes de glaces ? Je m’étais toujours imaginé le grand nord comme un dessert extrêmement plat. Une banquise infinie, de la glace uniquement. Apparemment c’est plus compliqué que ça. Dans combien de temps arrivons nous ? La nuit se profile déjà. Serai je seul à descendre de l’appareil ? Je… j’aimerai me laisser porter. Le son de l’hélicoptère me berce. Du blanc à perte de vue, je n’arrive pas à distinguer les formes, leur taille.
Combien de temps ai-je pu dormir ? Dans le casque une voix voilée par des crépitements : « Nous arrivons à destination monsieur Astaire, il faut se réveiller pour de bon ! ». Je sens la descente de l’appareil, je sens son mouvement mais je ne vois rien. Impossible de distinguer le sol qui se rapproche, du reste du paysage. On me fait descendre, j’aperçois une faible lueur à quelques mètres, mais je ne vois rien d’autre. Je suis troublé par l’obscurité et le bruit de l’hélicoptère, troublé par le froid. Je me tourne vers le pilote qui tend son bras comme pour m’indiquer où je dois aller. La lueur se rapproche de nous, c’est vers elle que je dois m’avancer. L’hélicoptère décolle, me laissant seul ici. Dans le vacarme de son départ je ne cherche pas à comprendre. La lueur se transforme peu à peu en véritable lumière et je parvient à distinguer un être. Sa main, son bras, son visage se font plus nets au fur et à mesure qu’il approche. « Bonsoir monsieur Astaire ! Suivez moi, nous ne sommes
plus loin du village. » Nous allions rejoindre Siorapaluk en traîneau. Un fois arrivés, le jeune homme m’installa au coin d’un feu, m’apporta de quoi manger tout en m’expliquant que dans quelques heures je devais rencontrer la personne qui m’avait fait venir. Il me laissa seul sans plus d’explication. Un des chiens qui avait eu l’autorisation de rentrer, vint se poser à mes pieds pour s’endormir. Je suivis son exemple.
Lorsque le garçon me réveilla mon corps était tout engourdi. J’avais du mal à rassembler mes idées. Depuis notre départ de Nuuk j’avais perdu toute notion du temps et des distances. Sans un mot il m’accompagna à pied à travers les habitations, plongée inexorablement dans la nuit. Une cabane rouge, un peu excentrée, se dessinait sur la côte. « C’est là que nous allons ». Près de la cabanes nous pouvions déjà entendre des voix, des rires et des cris d’enfants. A notre arrivée, les gens continuèrent leurs discussions, leurs activités. Les regards se posaient sur moi, surpris plus qu’admiratif. Ici, personne ne me connaissait et c’était bien une première. Le garçon me guida dans la maison. Un viel homme à la voix grave riait à gorge déployée. Sur ces genoux des dizaines d’enfants se relayaient pour jouer avec lui et lui dire des mots à l’oreille. « Ils lui chuchote leurs vœux les plus chers. » m’expliqua mon guide.
Le vieil homme dans sa tunique rouge, me vit et me sourit d’un air affectueux. Il reposa un à un les enfants à terre, ramena sa longue chevelure brune sur ses épaules. Le silence s’installa doucement dans la maison, les regards se tournèrent vers nous. Je lui offris mon plus beau sourire et lui tendis une main énergique pour le saluer. « Bonsoir, je suis Fred Astaire ! Je suppose que c’est vous qui m’avez fait venir dans ce pays glacial ? Haha, quelle expérience extraordinaire ! ». Mon guide s’occupa de la traduction. Le vieil homme ne répondit pas tout de suite. Je laissai tomber mon ton habituel de star de cinéma, je n’étais plus à Hollywood après tout. « Je m’excuse de ne venir qu’aujourd’hui. Je repousse votre invitation depuis des années, mais j’ai réalisée qu’il était temps d’honorer votre demande». Le silence du vieil homme était surprenant mais son sourire me rassurait. Il se leva, avança son bras devant lui et fit tourner son poignet, index pointé vers le sol. Je m’exécutait
et fit une pirouette. Il s’esclaffa de joie ! Mon corps endormi par le froid extérieur, la chaleur de la cabane et la lourdeur de mes vêtements n’était pas aussi souple qu’à son habitude mais mon geste était précis. « Dansez s’il vous plaît ! Dansez autant que vous le voudrez. » Il me fit signe de le suivre dehors, il me montra le désert de glace qui commençait au pied de sa maison et reproduisit la pirouette que je venais de faire dans son salon mais avec beaucoup plus d’ampleur et en sautant beaucoup plus haut. Sous les cris de joies de nos spectateurs je le rejoignis. Sans ne plus penser à rien, en oubliant l’inertie de mon corps je me mis à danser comme je ne l’avais jamais fais avant. Dans une grande respiration je me sentais soudain si libre. L’espace autour de moi n’avait jamais été si grand, si indistinct. Le temps n’avais plus de sens. Sans contrainte, sans obligation, sans murs de studios pour m’arrêter je me sentais emporté par le vent qui soufflait doucement sur nos
mouvements. La neige nous accompagnait et la cabane et les cris des gens s’éloignaient à mesure que mes jambes me portaient ailleurs. Sans un mot, sans une pensée, dans un mouvement je disparaissais peu à peu dans la nuit boréale.