Cette nuit là Gina fut réveillée par des cris. Encore à demi endormie elle mit un peu de temps à comprendre qu’ils venaient du rez-de-chaussé du foyer où logeaient une vingtaines de filles. Elle ouvrit avec douleur ses yeux lourds de sommeil. Des reflets inhabituels perçaient à travers les rayons de ses volets. On aurait dit de toutes petites couleuvres argentées se déplaçant au plafond. Mais les cris incessants finir par la tirer de ses rêveries et elle compris. De l’eau, partout. Voilà dans quoi se reflétait la lune ce soir là à Turin. Dehors elle pouvaient entendre l’écoulement de ce qui devait ressembler à un ruisseau sur la chaussé. Les voix et les corps entravés par l’eau résonnaient depuis la rue. Les volets toujours fermés, debout mais tétanisée, Gina entendait des enfants pleurer et la voix de leurs mères les consolant. Les hommes s’évertuaient à organiser le chaos. Une voix dans le couloir, plus aiguë que les autres, la décida à s’activer. Elle ouvrit la porte de sa chambre. Des dizaines de résidentes couraient dans tous les sens. Certaines pour demander de l’aide, d’autre pour en proposer. Anna était en train de remonter avec les affaires d’une fille du rez-de-chaussé.
- Gina, tu peux aller aider en bas ? Il reste encore une dizaine de chambre à évacuer. Habille toi chaudement avant, l’eau est glaciale.
Encore un peu sous le choc elle s’en retourna dans sa chambre, chercha des habits chaud et des chaussures adaptées à l’eau, mais bien sûr rien de correspondait à cette description. Elle perdait du temps à chercher dans ses placards. Elle faisait des tours sur elle même pour chercher sous son lit si elle n’avait pas à tout hasard chaussures ou chaussettes de secours. Elle se rappela qu’elle avait un manteau chaud que sa mère lui avait donné avant de partir, qu’elle n’avait mis qu’une fois en un an. Mais s’il venait à être mouillé il deviendrait très lourd et peu pratique. Elle tenta à plusieurs reprise de se raisonner et d’avancer dans son entreprise. Plus elle entendait les voix dans le couloirs, plus elle paniquait et s’en voulait de ne pas déjà être en bas. Soudain sa porte s’ouvrit à la volée, c’était Anna qui venait aux nouvelles.
- Qu’est-ce que tu fabriques ? On a besoin de bras !
Voyant la panique dans le regard de Gina, elle tâcha d’être rassurante, malgré l’urgence. Elle avait autre chose à gérer mais elle ne pouvait se résoudre à être brutale avec une Gina dont les yeux se remplissaient déjà de larmes. Elle sentait le corps de son amie tremblant de fatigue. Elle prit sur elle pour ne pas empirer la situation et parvint à l’apaiser tant bien que mal.
- On verra après pour les vêtements les plus adéquat Gina, c’est très bien comme ça, ajoute juste un pull.
Elle sortirent toutes les deux de la chambre. Gina était comme suspendu hors des évènements, elle ne disait rien et examinait tout ce qui se passait autour d’elle. Le foyer était plongé dans le noir, on avait coupé l’électricité avant que l’eau ne s’en charge. Elle suivait tant bien que mal Anna qui comptait redescendre pour continuer à aider les filles du rez-de-chaussé. Gina se faisait bousculer et failli rater une marche. Elle pris quelques secondes pour elle avant de plonger son pied dans l’eau. Gina n’était pas bien grande et savait que si l’eau arrivait à la taille de ses camarades elle lui arriverait au niveau de la poitrine. Elle avait besoin de reprendre son souffle avant que cela n’arrive. Anna avait déjà disparu dans l’obscurité. Elle ne pouvait rester plus longtemps à attendre et à boucher le passage.
- On a besoin de monde pour la chambre A18
C’était le signal qu’elle attendait, elle avança et poussa un cri au contact de l’eau sur ses jambes et souffla profondément quand l’eau atteignit son ventre. Personne ne fit attention à elle. Elle compris qu’elle devait avancer vite pour tenter de se réchauffer. Elle s’aida de ses bras pour se donner une impulsion et avancer malgré la pression de l’eau. Elle se cogna à plusieurs reprise contre des filles qui portaient des meubles ou des valises. Ses yeux ne parvenaient que difficilement à s’habituer au noir. Elle arriva enfin dans la chambre A18 où une résidente portait à bout de bras son matelas dont elle avait réussi à poser un bout sur son armoire.
- Attrape le côté qui est sur l’armoire et aide moi à le monter à l’étage.
En sautillant dans l’eau Gina réussi à atteindre le dit matelas. Il fallait le porter à bout de bras et là encore la génétique n’était pas en son avantage. Sa camarade passa devant et Gina essayait de garder le même rythme qu’elle pour ne pas faire tomber le matelas dans l’eau. Sa camarade de fortune avait réagis vite à l’inondation. Elle ne dormait pas encore quand l’eau s’était introduit dans sa chambre et avait tout de suite pensé à protéger son matelas sur lequel elle avait entassé tout le linge qu’elle pouvait. Au début elle l’avait mis sur sa table à écrire, mais l’eau avait fini par monter vite, heureusement elle était parvenu à le faire tenir sur l’armoire. Cela faisait trois quart d’heure qu’elle le maintenait à bout de bras, elle était épuisée et pressée de le relâcher. Elles commençaient à gravir les marches quand elles entendirent une annonce :
- Il n’y a plus de place au premier étage, allez directement au deuxième.
Gina était déjà à bout de souffle. Heureusement, en haut de l’escalier, là où l’eau s’était arrêtée, elles purent relâcher un instant leur charge. l’espace était tout de même exigu et l’obscurité ne les aidait pas à éviter les filles qui descendaient aider les dernières victimes. Une fois arrivées au deuxième étage elle trouvèrent de la place dans une chambre tout au bout du couloir. Ce fût une véritable libération pour Gina qui ne sentait plus ses mains qui souffraient du froid dont l’inondation avait empli le foyer. Elle souffla un bon coup et s’essaya sur la chaise de la chambre de secours.
- Mets tes mains sur ton ventre, ça les aidera à se réchauffer. Ou sous tes bras si ton ventre est froid. Ne reste pas statique trop longtemps d’ailleurs, tu vas te transformer en galçon avec tes vêtements mouillés.
Gina exécuta les conseils que lui donnait sa camarade. D’abord les mains sous les bras, le temps de reprendre son souffle. Puis quand elle compris qu’on avait plus besoin d’elle, elle se dirigea vers sa chambre dans laquelle on avait installé un matelas. Elle ferma la porte pour se sécher et se changer mais celle-ci s’ouvrit alors qu’elle avait les jambes à l’air. Surprise, elle se cacha le bas du corps avec sa serviette de toilette et poussa un cri contre la fille qui venait de s’introduire dans sa chambre.
- Oh ça va Gina, je ne vois pas, il fait trop noir ici de toute façon ! Et puis tes fesses je les ai déjà vu dans les sanitaires.
C’était son amie couturière, qui allait devenir sa colocataire le temps qu’il faudrait. Le calme se fit doucement dans le foyer, toutes les filles avaient trouvé un endroit où se poser pour le reste de la nuit. Il ne leur restait plus que quelques heures avant de se relever pour aller travailler. La couturière se demandait dans quel état elles retrouveraient la fabrique. Gina l’entendait réfléchir à voix haute et à lister tous le matériels et les outils qui auraient pu être touchés par l’inondation.
- N’y pense pas trop, tu ne peux rien y faire maintenant. Lui dit Gina.
Elle répondit en grommelant quelques chose d’indistinct et le silence régna de nouveau dans la chambre de Gina.