Texte de l’épisode 6 du podcast Love Letters
C’est drôle que ce soit cette chanson qui me fasse penser à ma famille. Elle démarre, au détour d’une playlist quelconque et me projette à l’arrière d’une voiture, derrière le conducteur, sûrement mon père. Je me souviens d’être touchée par la gravité de la mélodie, par la voix de la chanteuse. Je ne comprenais certainement pas tout, mais je pouvais au moins chanter les « tutulutou ». Je me souviens de la pochette de l’album. Le fond blanc et le groupe assis sur un canapé en cuir. Ça restera pour moi l’image d’une certaine forme de rock, l’image de la mélancolie. Je ne me souviens plus si mes parents étaient déjà séparés. J’étais jeune, et nous écoutions Ode to my family.
Des sons. Des odeurs. Celle de la menthe sauvage. L’odeur de la lessive, des draps. Le parfum de ma mère quand je pousse la porte de chez elle, de chez nous. Des sons, des odeurs, des récits. Une histoire, un passé, un présent.
Ce sont les mots que j’ai écoutés et qui associés les uns aux autres ont formé un fils, puis un maillage. Une étoffe qui s’agrandit encore au fil des naissances, des mariages, des décès… J’aime ces histoires. Celles de ma grand-mère. Une grande amoureuse ma grand-mère ! Mariée à son cousin contre l’avis général. Veuve mais toujours amoureuse. Prête à aller jusqu’à Saint-Malo pour retrouver son amoureux, une valise en cuir rouge à la main. Un amour qui ne dépassait pas celui qu’elle avait pour ses filles. Sept filles ! Oh elle ne devait pas être facile ma grand-mère, mais on aurait sûrement jamais pu lui arracher ses filles. Je ne l’ai pas connue beaucoup ma grand-mère. J’avais sept ans quand elle est morte. Mais je sais son histoire grâce à ma mère.
J’aime les histoire de ma mère. Elles donnent vie à des gens que je n’ai jamais connus mais auxquels je suis forcément liés. Des gens et des époques aussi, lorsqu’elle me raconte sa propre histoire, par petits bouts. Sa bagarre historique dans la cour d’école. Son adhésion au parti communiste juste pour agacer ma grand-mère. Son premier copain qu’elle a assommé à coup de rouleau à pâtisser alors qu’il était saoul. Son déménagement express le lendemain. Le SDF retrouvé dans sa 4L au petit matin. Le mauvais souvenir de son premier et dernier joint… Fabuleuses histoires d’avant ma naissance. J’ai alors toujours su que ma naissance n’était pas le point de départ de tout, qu’il y avait une vie avant moi. Bien sûr d’autant plus qu’il y avait ma sœur.
Ce sont les mots de ma mère. Ce sont les photos de mon père. Photos de son passé, du leur et du mien. Des images de voiliers, mon père jeune avec mes oncles. Ma mère sur le port de la Rochelle. La plage de l’île d’Yeux, mon père, ma sœur et moi. Elle dit les mots, il capte les lumières, les visages, les expressions. Tout deux savent attraper les instants. Une histoire, un passé, un présent.