Script de l’épisode de l’empire des masques sur Anne Sylvestre et sa chanson Les gens qui doutent.
Aujourd’hui c’est une chronique un peu spéciale que je vous propose. Puisque voilà, Anne Sylvestre est décédée ce mardi 1er décembre. Je ne la démasquerai pas, elle ne s’est jamais cachée de son engagement, même si elle ne se considérait pas non plus comme une engagée. Et en même temps elle avait raison. “Bien engagé”, ou avec du mal a démarrer, avec des embûches sur la route… toujours est-il qu’on est tous engagés sur nos propres chemins. Elle, elle avait juste décidé de mettre des mots là-dessus, dire les choses. Non je ne la démasquerai pas, d’autant plus que je la connaît peu. Je ne suis pas de celles qui ont été bercées par ses « Fabulettes ». Je n’ai pas non plus été sensibilisée aux idées féministes au travers de ses chansons « La faute à Eve » ou encore « La vaisselle ». Non, rien de tout ça ! Je ne la démasquerai pas mais je vais essayer de comprendre, puisque l’Empire des masques c’est un peu ça aussi. Comprendre pourquoi un jour j’ai eu la sensation qu’elle avait su, en une chanson seulement, raconter mon existence, et sûrement celle de milliers de gens. Alors essayons de comprendre ensemble, sans documentation, juste avec nos oreilles, la chanson d’Anne Sylvestre, « Les gens qui doutent ».
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté
Un moment dans ma vie ça n’allait vraiment pas, comme ça a du vous arriver aussi, peut-être. Ça ne fonctionnait plus, et je n’avais plus envie de faire en sorte que ça fonctionne de nouveau. Alors j’ai entendu ces mots, qui comme bien d’autres mots dans cette période m’ont fait du bien. Parce qu’ils me disaient que dans ce monde où on nous exige sans cesse d’avoir confiance en nous, et bien qu’il y avait d’autres personnes qui comme moi doutaient. Mieux, il y avait cette poète qui avait écrit une ode à ceux qui ne paient pas de mine, qui se contredisent, change d’avis, qui ne se permettent pas de juger les autres, de s’imposer. Que contrairement à ce qu’on voulait nous faire croire, ces comportements n’étaient pas des signes de faiblesse. Alors oui, forcément dans un monde qui dit tout l’inverse, qui exige qu’on soit fort, sûr de nous, en compétition avec les autres, et bien on peut paraître un peu perdu. Passer à moitié dans nos godasses et à moitié à côté. Mais ce n’est pas grave, ça arrive, et les autres devront s’y faire, nous attendre. Enfin, bien sûr le monde ne nous attends que rarement, alors on trouve des artifices…
J’aime ceux qui paniquent, ceux qui sont pas logiques, enfin, pas “comme il faut”
Ceux qui, avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte de n’être au bout du compte que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire “délivrez-nous du pire et gardez le meilleur”
Je pense à tous celles et ceux qui se plient en 15 pour ne pas montrer leur mal-être, parce qu’il n’est pas beau, qu’il fait tâche au milieu du soi-disant bonheur des autres. On connaît tous cette personnes qui amuse la galerie à tout bout de champs et qui finalement se révèle être quelqu’un de profondément triste. Cette personne elle vous préserve d’elle-même, enfin c’est ce qu’elle pense faire.
J’aime les gens qui n’osent s’approprier les choses, encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n’être, qu’une simple fenêtre pour les yeux des enfants
Les gens qui doutent ne veulent pas déranger les autres et en plus ils n’osent pas se les approprier. Ils acceptent de ne pas garder les personnes qu’ils aiment juste pour eux, comme un trésor. Anne Sylvestre ne dit pas si c’est simple, elle ne dit pas non plus comment ils parviennent à dépasser cette jalousie qui parfois ronge les êtres. Elle nous laisse éventuellement l’imaginer. Et parmi ces êtres que nous pouvons aimer à la folie, avec tant de tendresse qu’on pourrait les étouffer de notre amour, il y a les enfants. Ce que je comprends de la chanson, ce que moi j’en entends, c’est qu’on peut très bien seulement leur apporter notre regard sur le monde. Un regard qui les accompagnera un moment donné pour les aider à grandir. Qu’en plus il n’y a pas de nécessité d’avoir les siens à soi d’enfants pour leur transmettre ce regard, que sans être parents on peut être présent.
Et qu’on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie qu’on leur dise, on leur crie “merci d’avoir vécu!”
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu
Oui, merci pour la tendresse Anne Sylvestre ! Merci pour votre poésie qui m’a aidé à avancer, à imaginer librement l’après et à accepter tous mes petits automnes comme vous dites. Merci d’avoir déconstruit en l’espace d’un morceaux nombre d’exigences malsaines qui pèsent sur beaucoup d’entre nous. Merci et à bientôt au travers de vos mots.
Diffusé le 4 décembre 2020 sur SUN