Betty Collober |||

L’écriture, ou manuel de survie en cas de tempêtes intérieure

En cette periode de fêtes de fin d’année, souvent rude pour notre santé mentale je voulais vous partager ce texte que j’ai écris sur commande. A l’origine ma psy souhaitais un texte sur le pouvoir de l’écriture pour la psyché et le partager avec des collègues qui aident des jeunes atteins de troubles psy. Quand elle en a pris connaissance elle me l’a rendu en m’invitant à le faire publier. C’est chose faite sur ce blog, l’avenir reste à écrire.
Attention certains passages abordent frontalement la question du suicide. Bien sûr j’ai hésité avant de publier ce texte parce que le sujet est sensible et que j’ai toujours la crainte d’être cataloguée comme une auteure du mal-être. Mais j’ai entendu tellement d’horreurs sur la santé mentale venant du corps médical lui-même, que je me dis qu’il y a urgence à lever le voile de l’ignorance qui fait tant de mal. Moi je suis là pour vous en parler, mais je pense à tout ceux qui n’en sont pas revenu (comme le chante Barbara), je pense à ce cheminot qui le soir de Noël n’a eu personne pour le rattraper, à cet ami qui n’a pas vu d’autre solution à ses souffrances que de se jeter du pont de Pirmil. Si je suis là c’est parce que l’écriture m’a sauvée, celle des autres et la mienne. Bonne lecture.

J’écris. Depuis toujours. Sur des carnets ou des bouts de papiers. Il m’est arrivé d’écrire sur des feuilles de cours, dans les marges, sur des tickets de caisse. Par moment c’était une vraie urgence. Puis j’ai oublié d’écrire, dans des moments où il aurait pourtant fallu. Des voix sont venue prendre l’espace disponible, des boules de maux, des cris dans ma tête me disant les pires choses possibles. Il n’y avait plus de place pour le reste. J’étouffais à l’intérieur, je mourrai à petit feu, absorbée par des mots sans phrases, des phrases sans liens. J’ai retrouvé le chemin de l’écriture, j’ai appris à ré-apprivoiser les mots, j’ai décris. Décrire, comme prendre une photo mais avec des mots. Les voix s’arrêtent le temps de l’écriture. Couper le son pour se concentrer sur ce qui les provoque. Juste un instant. Silence. Et alors je ne suis plus celle qui souffre, je suis celle qui regarde, celle qui prend la photo. Je ne suis plus actrice de ma souffrance, je suis l’observatrice. Je prends du recul.

J’ai les mains qui tremblent. J’ai envie de tous les excès. J’ai envie de hurler. Mon ventre se tors. Je me griffe le visage. Colère, haine, peur, angoisse. Je ne veux pas rester sage. Oh mon dieu, non. C’est un flot qui sort de mes hurlements. Tout détruire. Je tape sur la table, frénétiquement. Ca arrive, les larmes, la douleur, les gémissements. J’ai besoin de voir A. ce soir. Je ne supporte pas que S. me dise « non », pour avoir sa soirée avec moi. Pourtant il a raison, on ne se voit pas assez, je le sais. Pourtant ça hurle à l’intérieur. Je ne resterai pas enfermée ce soir. Il ne comprends pas ça. Il ne comprends pas mes fureurs. Qui le peut d’ailleurs ? Il me regarde et il me dit « Je ne te comprends pas en ce moment ». Tout s’envole. Il n’y a pas de mode d’emploi. Tant mieux.

Je suis l’observatrice, mais une observatrice privilégiée puisque je sais tout. J’ai en moi tous les éléments pour parvenir à faire cesser la souffrance. Mais ce n’est qu’un nuage dévastateur. Et je m’arrête sur le moindre détail pour le dire, pour que les sentiments prennent vie en tant que tel, pas comme un monstre informe sans nom. Nommer pour distinguer dans la foule de mes sentiments la diversité de mes émotions. Comme quand je décris la sensation du vent sur mon visage quand j’évoque un souvenir. Est-ce un vent violent, en pleine tempête, en bords de mer ? Ou une légère brise, un soir d’été, alors que je rentre chez moi sur mon vélo ? La colère que je ressens, c’est quoi ? Elle monte dans mes bras, elle me sert les poings, elle me prend la gorge. Que s’est-il passé avant ? Avec qui ai-je discuté ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? Le stylo à la main je me concentre, je me focalise sur une chose et sur rien d’autre et je prend possession de cette chose et non l’inverse. Les voix se sont arrêtées.

Elles reviendront, elles reviennent. Elles m’empêchent de vivre. Je n’ai pas vraiment le choix, j’ai un rendez-vous important, je dois avancer. J’écris de nouveau :

Je suis fatiguée de me détester. C’est comme un double à l’intérieur de moi qui me tirerait vers le bas. Plus fort que tous les autres, plus fort que toutes les voix, les véritables voix, celles de mes amis, celle de mon amour. Je ne dois pas rester seule avec ce double. Mais ce double c’est moi. Je suis ma propre prison, je suis mon propre poison. Et je hurle, comme je l’ai toujours fais, d’aussi loin que je m’en souvienne. La tête contre le mur le soir. Et puis ça passe quand je sors de moi, quand l’autre me parle, occupe mon esprit, me demande d’être là. Ça passe mais j’ai la terrible sensation qu’un jour ça ne passera pas autrement que par la fin de tout. Qu’un jour je n’en pourrait vraiment plus et que de toutes les images que j’ai en tête, de tous les scénarios que j’imagine, l’un d’entre eux prendra forme. Dans les cris et les pleurs, dans une lutte féroce et longue en moi. Sortir il faut sortir pour ne jamais vivre ça, je sais oui. Mais je suis parfois si fatiguée…

Et plus tard, avec le recul :

Life is crap. Se réveiller avec cette certitude, cette phrase. Sombrer tout doucement dans le fond de cette vérité. J’ai beau essayer, j’ai beau nager, me débattre, il n’y a pas d’autre réalité. Il n’y a pas d’autre existence que ces mots qui m’assaillent. Extérieurs à moi et pourtant profondément encrés. C’est physique, c’est chimique, c’est presque palpable cette envie d’en finir. Je sais pourtant que ce n’est qu’un épisode, que ça passera comme c’est déjà passé. Mais je suis épuisée de lutter. Je sais que ces voix ont tors, que ce n’est que mascarade, mais tout défaire pierre après pierre à chaque fois… pour que ça revienne en plus, plus tard, sans prévenir. Reprendre les armes et recommencer. A quoi bon ? L’autre jour, comme ce matin j’en étais certaine : bientôt je mettrai fin à mes jours. Demain je ne serai plus là. Et il n’y avait plus que cette réalité, malgré tout le reste. Malgré les amis, les mots doux, les projets… Et ça ne me faisait pas peur, c’était juste là, devant moi.
Les mots passent, les certitudes s’effacent. Je poursuis ma journée, je vais à mes rendez-vous. Mais je n’oublie pas, la tempête. Et je me demande à quoi ressemble la vie des gens qui ne vivent pas ça. Celles et ceux qui ne deviennent pas soudainement leur propre ennemi. Existe-t-il des gens comme ça ? C’est probable. C’est probable que je ne soi pas la seule dans ce cas, que tous, nous ayons des frontières qui nous empêchent d’avancer, des points de butté. Qu’importe. Personne ne vis ce que je vis comme je le vis. Il existe des gens qui ne savent pas. A force je devrai savoir m’en sortir, à force. Je sais les stratégies : écouter de la musique, marcher, faire du vélo, voir une personne, écrire… Et après quoi ? Après tout je sais, je sais, oui je sais. Mais il n’y a rien de raisonnable. Et puis, chaque crise est unique et il n’y a rien d’automatique dans mes techniques d’évitement. Il n’y a pas de mode d’emploi, alors je m’épuise à réinventer, à louvoyer contre moi-même. Il y a longtemps que je me suis faite une raison, que je sais que je devrai vivre avec ce genre de moment, qu’il n’y avait pas de retour en arrière. Les cicatrices sont là et quand je me mets en mouvement, ça tire. Je sais . Mais je n’avais pas idée de l’épreuve face à la violence de certaines phrases. Face à la violence de l’idée du suicide, de sa réalité, de s’en approcher si près. Je savais donc je ne me suis pas méfiée de sa force d’attraction. Mais c’est bien plus qu’une vague idée. Je le vis dans ma chaire. Je dessine sur ma peau des lignes rouges. Et quand je m’empêche de le faire je les imagine, je sers fort mon bras, mon poignet, je scrute les anciennes traces. Témoignages des fois passée ou « là vraiment je l’avais fait ». Ces traces identifient mes douleurs, leur donne la réalité physique que je ressens dans mon ventre, dans mon corps et sur ce poignet que j’ai identifié comme espace de souffrance. Enfin. Un jour je me dirai peut-être « enfin ! », parce que je l’aurai fait. Mais peut-être que je mourrai de vieillesse dans les bras de mon amoureux, après avoir lutté des années durant contre la tentation de mettre fin à mes jours. Et il n’y aura rien de romantique ou de poétique ni dans l’une, ni dans l’autre hypothèse. Dans les deux cas j’aurai vécu autant que j’aurai pu, avec ma rage et mes faiblesses.

J’écris pour me souvenir de mes combats. Ne pas oublier que j’ai été capable d’endurer des choses tout autant voire plus difficiles. J’écris aussi pour être lue un jour, peut-être, et dire à celles et ceux qui me liront qu’ils et elles ne sont pas seules. J’ai lu moi-même des histoires similaires. J’ai parcouru la vie de Virginia Woolf, entre autre. Une femme pleine de vie, de joie de vivre et de tourments aussi. J’ai appris que les deux n’étaient pas incompatibles. J’ai lu la réalités des gens qui comme moi souffrent de tempêtes, j’ai vu au-delà des clichés dans lesquels on nous enferme, sans nous donner aucune voie de sortie. Je lis et j’écris pour voir et dire le nombre infinie de possibilités qui s’offrent à chacun de nous pour essayer de composer avec les éléments qui font notre vie.

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